Une histoire d’hommes

La naissance d’un fromage est toujours le fruit du travail de l’homme, acteur au sein d’un territoire, d’une histoire spécifique entre ce territoire, les animaux et les hommes, que ce soient les moines du Moyen Âge, les buronniers employés par les grandes familles au XIXe et XXe siècle ou les producteurs et salariés qui participent aujourd’hui à la production du fromage de Laguiole.

Parmi tous ces hommes, il est besoin de s’arrêter au portrait d’André Valadier, acteur incontournable de la vie de l’Aubrac depuis plusieurs décennies.

 

André Valadier, un parcours unique

Buron et vaches en estive
Buron et vaches en estive

Si le laguiole a aujourd’hui  retrouvé sa production du début du XXe siècle c’est grâce à la coopérative fromagère Jeune Montagne, créée par une poignée de producteurs sous la houlette d’André Valadier. Difficile, donc, de ne pas évoquer cet homme qui a fait vivre sa « montagne », celle de ses propres vaches, et avec elle toutes les montagnes avoisinantes.

Au sein de la coopérative Jeune Montagne, il est au premier rang des combats qui ont permis à cette dernière de perdurer et de faire vivre les producteurs durant des décennies. On pense en particulier aux grandes décisions :

L’État met en place une prime à la vache allaitante qui allèche nombre d’éleveurs ? La coopérative se défend en offrant une prime d’un montant égal, afin de maintenir dans ses rangs les producteurs qui sinon auraient fui. Les quotas laitiers menacent de grever le budget des producteurs ? La coopérative mutualise les pénalités engendrées pour les maintenir à flot afin d'atténuer la sauvegarde de l'entreprise et de la filière.

Aujourd’hui, en tant que président du syndicat du fromage de Laguiole, il se consacre au travail sur l’AOP Laguiole et prend une part active à la réflexion sur les AOP au niveau national. Il est également l’un des initiateurs du projet de Parc naturel régional de l'Aubrac.

André Valadier
André Valadier

« Je suis originaire de l’Aubrac. Je suis né à 10 km de Laguiole, d’une famille d’éleveurs de père en fils depuis le XIIe siècle. J’ai grandi sur une petite exploitation avec, très jeune, le contact du troupeau. J’ai des souvenirs d’enfant où dès l’instant où nous avions un peu d’autonomie, on nous mettait au service des soins à donner au troupeau : faire boire les bêtes, arrêter les bœufs, etc., puis on nous faisait participer à tous les travaux de l’exploitation en dehors des périodes scolaires. Je me suis quelquefois permis de dire que pour les enfants de ma génération, l’école n’était pas considérée comme un plein temps : ils devaient travailler par ailleurs. Je me suis donc progressivement engagé dans la voie de mes parents, de mes grands-parents, de mes arrière-grands-parents. Je ne le regrette pas, car cela me permet de dire que j’ai vécu deux séquences marquées par un changement de civilisation : passer de la traction animale à la traction mécanique constitue une évolution qui se situe au-delà d’un changement de génération. (…)
 
 

Voilà mon parcours : quarante-huit ans à la tête de la coopérative Jeune Montagne, puis en tant que président de l’AOP Laguiole où j’ai pris le relais d’une fabrication qui était sans doute en 1950 à peu près ce qu’elle était en 1750, d’un seul coup, nous avons basculé sur un concept artisanal élaboré même s’il ne s’agit pas d’un concept industriel – pour moi, l’artisanat n’est pas archaïque. J’ai assuré aussi des responsabilités multiples et variées au Crédit agricole, à la Chambre d’agriculture, à l’INAO, et j’ai eu une démarche d’élu : maire d’une commune durant 35 ans et conseiller régional de Midi-Pyrénées durant dix-huit ans, chargé d’agriculture et d’économie rurale. J’ai évalué la dimension et l’actualité d’un concept d’appellation d’origine grâce aux contacts que j’ai pu avoir lorsque j’étais président du comité national des produits laitiers de l’INAO : ayant eu pendant 20 ans l’approche de plus de 40 fromages AOP, j’ai pu faire des comparaisons. C’est là que j’ai compris que même en bénéficiant du logo d’appellation d’origine octroyé par décret, il ne fallait pas s’en tenir là, et surtout ne pas faire semblant. Nous sommes dans un concept où il faut aller jusqu’au bout, depuis la fabrication jusqu’à prendre en compte la génétique, l’alimentation des troupeaux, le respect du lait cru, etc. »